Comme la quasi totalité de ses matins radieux, je m'étais éveillé d'une humeur passablement exécrable ; mon aura sombre et ténébreuse avait l'avantage de repousser bien des bavards qui s'écartaient de mon chemin, lorsqu'ils m'observaient arriver pourvu d'un regard pénétrant et carnassier. Ne me blâmons pas cependant, car il fallait bien avouer que vivre au quotidien avec les mortels était quelque chose qu'il me fallait durement réapprendre, et que nombre de petits détails, accumulés en eux, jouaient nettement sur ma bonne humeur. Un vampire a toujours faim de sang ou de chair lubrique, un vampire aime chasser, un vampire aime flirter et envoûter, un vampire aime le silence glacé qui lui rappelle les tombeaux... Or, à Poudlard, je ne pouvais ni sauter au cou de mes camarades pour les vider de leur sang, ni inviter toutes les demoiselles que je croisais dans mon lit, et encore moins les inciter à se taire puisque, ironie du sort, je n'avais pas même assez de puissance magique pour invoquer un silencio ne serait-ce que dans le minuscule bureau du concierge. Pathétique. A cette dernière pensée, je soupirais d'une colère glacée et glaçante, qui espérons-le s'estomperait au fil du temps : oui, j'étais exécrable lorsque j'étais affamé. Sans doute que le petit-déjeuner du matin allégerait ma faim et mon humeur, par ailleurs certains de mes camarades ayant le cran de me supporter depuis de longs mois, m'attendaient à la table des bleus et argent, un sourire guilleret aux lèvres. Intérieurement, je les admirais de faire fi de mon humeur lunatique, et appréciais le temps passé avec eux. Mais plutôt mourir une deuxième fois, que de l'avouer de ma voix claire. « Rafael. » La jolie rousse qui me faisait face, répondait au doux prénom de Daisy. Ses yeux émeraudes plongèrent dans les miens avec bienveillance, tandis qu'elle me poussa un bol de céréales fraîchement arrosé de lait. « Tu dois être affamé. » Cette remarque taquine faisant référence à mon apparente mauvaise humeur, j'esquissais un sourire amusé sous le rire de mes camarades, avant de me saisir du bol avec avidité. Le traitement Freedom me creusait l'estomac comme jamais, et il me tardait de quitter Poudlard, mon diplôme en poche, pour redevenir ce qu'on appelait entre nous un 'vampire sauvage'. Peu à peu, sous un estomac qui criait de moins en moins famine, je retrouvais le sourire et oubliais pourquoi je m'étais ainsi levé du mauvais pied : les conversations fusaient, toutes orientées vers Noël et ses présents. Taciturne, je les écoutais se vanter de leurs nouveaux balais qu'ils allaient recevoir, avant de me rendre compte que ne possédant aucune famille, je pouvais cette année encore tirer un trait sur les fameux cadeaux de fin d'année. Peu m'importait au final, car au fil du temps j'avais bien appris à faire avec : ce n'était donc pas de fiers vaniteux qui iraient attiser ma jalousie. Par ailleurs mon petit-déjeuner m'intéressant bien plus que leur conversation superficielle, je me contentais de hocher de temps en temps la tête, de murmurer des oui ou des non à chaque question posée vers ma personne pour les satisfaire, tout en atténuant ma faim. Comme tout vampire subissant le traitement Freedom, j'avais un appétit d'ogre sans pour autant prendre un gramme : il fallait bien quelques avantages.

C'est alors qu'un bruit sourd et crépitant attira enfin mon attention : levant mes yeux fauves vers le feu d'artifice improvisé entre les murs, tout comme tout l'ensemble des élèves présent, je pus lire d'abord dubitatif les quelques mots s'affichant juste au-dessus de ma tête brune. Tu vas me pardonner à la fin bougre d’idiot ? Et, comprenant que le message s'affichait pour ma personne, nombre de mes camarades se tournèrent vers moi, amusés et rieurs. Fronçant mes sourcils de colère, je pus saisir aussitôt l'auteur de ce message : est-ce qu'elle se fichait de moi ? Bien sûr, je devais avouer que sa manie de redoubler d'efforts pour me demander des excuses quant à ses insultes qu'elle m'avait craché à la figure quelques semaines auparavant, me faisaient agréablement sourire par leur côté burlesque, mais ce matin j'avais du mal à comprendre véritablement son message. Avait-elle conscience qu'elle me demandait pardon pour une insulte, tout en me qualifiant d'idiot aux yeux de tous, dans ce même message de rédemption ? De plus, moi qui préférais rester discret pour mieux conserver naturellement ma véritable nature, voilà que deux cent paires d'yeux s'étaient tournés vers moi... Fou de rage, je me levais aussitôt et m'avançais vers la table des rouges et or, attrapant sans préavis le bras fin de Eden, la traînant vers le Grand Hall. Face à elle, j'allais pour lui cracher toutes les obscénités possible à la figure, mais ne pus rien faire face à son étonnant flux de paroles. « Tu dois comprendre que je commence à ne plus avoir d’idée moi ! Ça fait des semaines que je me tue à te présenter des excuses, sincères. Mince alors, c’est un mec pas asocial comme toi qui vas me faire tourner en rond encore longtemps. Non, parce que... » « Mais est-ce que tu respires quand tu parles ? » m'insurgeais-je alors, à défaut de lui demander méchamment de la fermer, dissimulant mon amusement malgré ma colère soudaine. « Tu viens de me traiter d'imbécile devant tout le château, alors pour les excuses miss Gryffondor, tu repasseras ! » soufflais-je en lui lâchant enfin le bras, reprenant aussitôt mon discours afin d'éviter que miss pipelette ne s'emporte encore dans un monologue interminable. « Et je ne vois pas en quoi le fait que j'accepte tes excuses ou non te tienne autant à coeur. J'ai peut-être juste envie que tu me foutes la paix, remballe tes pardons, je n'en ai cure. » sifflais-je toujours sous le coup de l'énervement, et m'exprimant bien malgré moi comme au temps béni de la fin du dix-neuvième siècle.