Elle se détacha peu à peu des briques, avançant timidement, une tête brune dépassant à peine du chariot à bagages. Ses parents suivaient, mal à l’aise devant toute cette foule. Ni l’un ni l’autre n’étaient sorciers, et même s’ils avaient fini par croire à la réalité de la chose, accepter l’idée que leur petite fille allait passer le plus clair de l’année loin d’eux, dans une école où elle apprendrait la magie, était encore difficile. Au-dessus de leurs têtes, la fumée du Poudlard Express se dispersait en panaches grisâtres, desquels émergeait de temps à autre un hibou mécontent.

Mrs et Mr Waddle ne connaissaient rien à la sorcellerie, en bons Moldus qui se respectent, sinon à travers les élucubrations de divers auteurs parmi lesquels la fameuse JK Rowling. En discutant du « cas » de Bettina, ils avaient émis l’idée que la tante Augusta, qui était à moitié folle, puisse être une sorcière, mais l’été avait filé bien trop vite, et aucun d’entre eux n’avait envie de se risquer jusqu’à Londres pour la voir. Ne disposant d’aucun moyen de transport magique, c’est en train qu’ils avaient fait le chemin jusqu’à la capitale pour écarquiller les yeux devant les merveilles du Chemin de Traverse.
Bettina était tout simplement intenable, depuis qu’elle avait reçu ce fichu courrier et vu débarquer ce type, chargé de leur prouver que ça n’était pas un canular. Elle qui était une enfant sage, discrète, qui se contentait de poser des questions de temps à autre au dîner, était complètement survoltée, comme si … comme si tout ceci était l’aventure la plus merveilleuse qui lui soit jamais arrivée.

Et en vérité, c’était de loin l’aventure la plus grandiose, la plus fabuleuse, la plus merveilleuse, que Bettina ait jamais vécu. Elle avait douze ans ; anniversaire qu’elle avait fêté en compagnie de son frère et ses parents, de façon plutôt intime puisque jusqu’ici, ses fêtes d’anniversaire avaient toujours été de parfaites catastrophes. L’aîné de Bettina prenait souvent un malin plaisir à lui rappeler la panique déclenchée lorsque la fille des voisins s’était retrouvée, nul ne savait comment, en haut de l’armoire normande accueillant la vaisselle.
Apparemment, c’était récurrent chez les enfants sorciers, cette manie de faire des bêtises quand ils avaient des émotions fortes. Chez Bettina, ça n’arrivait qu’à l’occasion des anniversaires – probablement parce qu’elle était tout émue à l’idée qu’un tas de gens qu’elle ne connaissait pas très bien ne débarque dans sa maison démesurément grande et ne se cure le nez devant les respectables tableaux de famille. Non pas qu’elle ait particulièrement quelque chose contre le curage de nez, mais on lui avait longtemps seriné tout le respect qu’elle devait aux ancêtres, et il fallait avouer que chez les Waddle, la bonne tenue était une condition indispensable à l’obtention du dessert lors des dîners de familles. Et les dîners de famille, présidés par Sir Waddle en personne, qui ne s’était toujours pas remis de l’anoblissement de son arrière-grand-père, étaient suffisamment ennuyeux sans qu’en plus, on ne se retrouve privé de dessert.

Or donc, la vie de Bettina avait jusqu’ici suivi un cours tranquille, et les perturbations que Poudlard n’allait pas manquer d’apporter étaient selon elle plus que bienvenues.
Elle jeta un œil à ses parents. Alors que d’ordinaire, elle était la timide, celle qui se cachait, et eux les adultes assurés de leur position et du bon ordre du monde, elle les retrouvait cette fois dans le rôle des errants, tandis qu’ils ouvraient de grands yeux en tâchant d’éviter hiboux et autres étrangetés.
Oh, oui, tout cela était vraiment merveilleux.

Plus tard, quand Bettina se fut installée dans le train et longtemps après que la gare de King’s Cross eut disparu à l’horizon, elle repensa à ce qui l’attendait, et une vague de panique la submergea. Comment allait-elle survivre, seule, dans un monde si étrange ?
Il fallait bien l’avouer, l’enfant n’était pas un modèle de bonne intégration. Toujours affublée de vêtements de seconde main, avec ce mauvais goût si typique des anglais de la campagne, sa conversation tournait principalement autour de la danse classique et des courses de chien de chasse, alors qu’elle peinait à trouver quelque chose à faire de ses poupées. Non, Bettina Waddle n’était pas très intéressante, et encore moins populaire.

Pourtant, à Poudlard, les choses ne se passèrent pas si mal. Bien sûr, il lui fallut un temps d’adaptation. Mais de façon générale, la peur d’être en retard par rapport aux autres l’emportait sur celle de se rendre ridicule, si bien qu’au bout de deux mois, elle avait posé suffisamment de questions pour écrire un nouveau tome de l’Histoire de la Magie.
Elle restait dans la lune, et causa bientôt assez d’accidents pour que le surnom de « Calamity Betty » ne lui reste tout au long de sa première année. Elle avait beau y mettre toute la bonne volonté du monde, les objets semblaient se destiner à exploser dès qu’ils se trouveraient dans ses mains. Ayant rapidement renoncé à trouver des excuses pour justifier sa maladresse, elle se contentait souvent de hausser les épaules avant de traîner des pieds jusqu’à la salle de retenue.

Heureusement, sa bonne humeur compensait. Au fil des années, les incidents devinrent moins fréquents, remplacés par les aléas typique de l’adolescence – vous voyez très bien ce dont je parle, ne faites pas les innocents. Et puis, un beau jour, Bettina se réveilla et était devenu une jeune fille tout à fait convenable. Un peu ronde, un peu étrange dans ses réparties, mais sociable et plus ou moins acceptée (évidemment, les histoires de sang pur sont une autre histoire).

Et puis, Poudlard avait pris fin. Enfin, une fin. Ses ASPICS en poche, Bettina avait encore eu des sueurs froides à l’idée d’aller porter sa malchance dans le monde du travail : au moins, à Poudlard, tout le monde savait à quoi s’attendre. Après avoir tiré à pile ou face pendant près d’un mois, elle finit par annoncer à ses parents, qui la dévisageaient comme une poule qui aurait trouvé une baguette magique, qu’elle retournerait à son école pour trois années consécutives, histoire de se spécialiser un peu … Et surtout de profiter de la vie encore quelques temps.

Sang pur ? Chez les Moldus, oui. Les parents de Bettina sont ce qu’on appelle des sangs bleus – des nobles, quoi, bien que la notion ait perdu pas mal de prestige depuis quelques décennies. Son père s’occupe du domaine familial et de la vinasse locale, absolument imbuvable malgré ce qu’il prétend, et sa mère est médecin. En revanche, ni l’un ni l’autre ne possèdent une goutte de sang sorcier, ce qui fait de Bettina une née-moldue.